A peine redescendus d’une appétissante mise en bouche à l’escalade dolomitique aux tours de Sella, nous partons dans la foulée nous confronter à l’une des parois les plus impressionnantes et chargée d’histoire des Dolomites, la face Sud de la Marmolada.
Aux alentours des 17h, c’est une belle équipe d’énervés qui débarque au parking de Malga Ciapela. Les équipes du lendemain sont constituées : Guillaume Cadas, Raphaël Marsan et Clovis Paulin sous la supervision de Quentin Lombart (ENSA), qui envisagent la voie « Les Temps Modernes ». De l’autre côté Christophe Tricou, Pierre Boucher et moi-même sous l’oeil avisé de Phillipe Batoux (ENSA), dont la classique combinaison « Vinatzer-Messner » retire l’attention…
C’est dans un cliquetis de friends, cablés et pitons que nous préparons rapidement le matériel pour le lendemain, le tout sous les quelques gouttes de la petite averse de fin de journée annoncée. « Une face Sud de 800m, ça va vite secher demain au soleil ! » C’est encore plein d’optimisme que nous nous mettons en marche pour rejoindre le refuge O. Falier, à une bonne heure de là.
Seulement voilà, la petite averse s’avère être un déluge ininterrompu qui nous accompagnera pendant toute l’approche et toute la soirée… de quoi être bien réservé pour le lendemain !
Avec Pierre Boucher nous avions envisagé plus tôt dans la journée, un peu plus sur la réserve, la voie Don Quixote, annoncée clairement plus facile que la Vinatzer, en plan B. La voie remonte la partie inférieure de la face par du terrain relativement facile (III, IV) jusqu’à venir buter sur une Cheminée en VI qui permet de prendre pied sur la vire médiane. C’est du terrain que nous pensons praticable même si l’ambiance est humide, avant de continuer sur la deuxième partie de l’itinéraire qui remonte un des piliers aériens de la Marmolada d’Ombretta, qui devrait avoir bien sechée le temps d’y arriver.
Lors du repas au refuge Falier, malgré la présence d’une bonne pinte de bière, les avis divergent et sont bien pessimistes pour le lendemain. Le discret mais ininterrompu bruit de la pluie sur les tôles ne nous aide pas vraiment à positiver. Quand nous interrogeons le gardien sur un itinéraire faisable après la pluie ou séchant rapidement, ils nous répond immédiatement : « Don Quixote ». Tout le monde se regarde, et reprends le sourire… Ça y est, on a un plan… Ça sera une Marmolada façon collective du CAF !

Le lendemain matin à 6h30, la face est encore complètement trempée. Nous sommes bien contents d’avoir revus notre objectif à la baisse. Les cheminée de la Vinatzer sont impraticables, les dalles des Temps Modernes trempées.

C’est donc a quatre cordée que nous nous retrouvons au pied de la voie aux alentours de 7h30, et malgré quelques nuages résiduels le ciel semble dégagé et une belle journée se présage. Cependant j’ai le présentiment que ça ne va pas durer.
Souvent à Chamonix, après les fortes pluies, les Aiguilles Rouge en face sud gardent les nuages accrochés toute la journée, alors qu’il fait beau dans toute la vallée… Humidité, soleil, condensation… La physique me direz vous ! en tout cas je ne veux pas faire mon rabat-joie de Chamoniard, et je garde ça pour moi avec la perspective optimiste de grimpe en T-shirt à 3000m.

Je m’encorde avec Pierrot, et nous retrouvons à partir en derniers dans la voie… On a l’avantage de n’avoir personne derrière nous ce qui donne une ampleur toute différente aux perspectives, et surtout la tranquillité !
Sur toute la partie basse, l’itinéraire est logique, déroule bien et nous avançons tous rapidement, avec un zeste de corde tendue.

Seulement voilà, ce qui devait arriver arriva, avec l’arrivée du soleil sur la face un épais brouillard s’est installé. L’ambiance tant désirée de face sud est à mettre aux oubliettes ! Et c’est partit pour une belle face Nord de la Marmolada…
La cordée de tête menée par Guillaume Cadas vient buter sur le « crux » de la partie basse de l’itinéraire, une cheminée en VI de 3 longueurs qui apparait bien humide et peu attrayante.. Il décidera donc (en fort grimpeur niçois) de faire fi du topo et de le laisser parler son instinct en traçant un cheminement dans la grande dalle a gauche de la cheminée. Nous lui emboiterons tous le pas.

Nous y trouverons forcément des traces de passage, principalement des lunules, mais à vrai dire je ne pourrait pas vraiment dire quelle voie ou variante a été parcourue. Seule conclusion, c’est sec, la grimpe engagé, mais ça passe !

Forcément à 4 cordées butant devant un resaut difficile, un petit embouteillage se crée, et nous avons bien le temps en queue de peloton de profiter des rares éclaircie pour laisser notre esprit voguer dans cet océan de dalles calcaire.

la troisième longueur de ce ressaut s’avèrera être particulièrement marquante. Typique des voies dures de la Marmolada nous avouera Philippe Batoux, où les prise et protection n’apparaissent qu’au dernier moment, et où il faut avoir le mental bien accroché. Au ressenti c’était un bon 6b, sans prendre en compte le serrage de fesse inhérent à ce genre d’escalade.

derniers sortis sur la vire après la longueur dure, nous voyons nos camarades déjà bien plus haut dans du terrain redevenu facile. Je prends le relais à Pierrot qui se remet tout juste de la longueur, objectif mettre le turbo pour rattraper les autres cordées.


après 2 ultra-longueurs nous apercevons de nouveau nos camarades, sur le piler sommital dont le sommet se perds dans les nuages

La grimpe y est exigeante au niveau de la recherche d’itinéraire, surtout avec ce brouillard qui décidément ne nous aura pas lâché de la journée.

Les rares éclaircies nous laissent entrevoir le chemin parcouru depuis la vallée, déjà un beau kilomètre vertical !


une fois de plus, comme nous nous engageons en dernier dans les longueurs difficiles, nous reprenons du retard sur nos camarades qui ont pu remettre le turbo pour avoir la benne et s’épargner une longue redescente jusque dans la vallée…
Bilan de la situation : il est 15h30, il nous reste 2 grandes longueurs pour sortir au sommet, 2 rappels pour prendre pied sur le glacier en face Nord et 50m D+ pour rejoindre le téléphérique salvateur, la dernière benne étant à 16h30. Autant dire que avec Pierrot on est plutôt résignés pour une longue descente à pieds, nous crions à nos collègues de ne pas nous attendre.
Toujours est il que je débouche au sommet sur le coup de 16h10. J’aperçois Christophe et Philippe qui arrivent à la benne, et je hurle à Pierrot de mettre le turbo, qu’on a peut être une chance ! Malgré la fatigue le rythme s’accélère, je me désencorde et sépare les brins en vue d’une descente en rappel, que nous ferrons à fond la caisse.
on prends pied sur le glacier à 16h25, et un petit sprint à 3200 m nous attends pour rejoindre la gare sommitale de la Marmolada. 3 minutes qui suffisent à nous mettre le gout du sang dans la bouche, et à voir tout trouble à l’arrivé… Mais on rentrera pas à pied !

En résumé une belle aventure alpine sur cette paroi mythique de l’escalade, on se dira quand même que bon nombre d’ascension hivernales se sont faites avec des températures bien plus clémentes que pour notre part…