Grandes Jorasses – La Walker

Il y a des voies comme ça, dont le nom résonne dans la tête de tout montagnard… Que l’on soit jeune ou que l’on fasse partit des anciens, l’éperon Walker en face Nord des Grandes Jorasses est un monument de l’alpinisme, une voie de référence.

Du 4 au 6 aout 1938, trois italiens, Ricardo Cassin, Luigi Esposito, Ugo Tizzoni, viennent à bout du dernier grand problème des Alpes. 1200 mètres de dénivelé, escalade du VIème degré, terrain mixte, longue course engagée.

La légende raconte que Cassin se serait présenté à Courmayeur avec une carte postale représentant la face nord des Grandes Jorasses et aurait demandé « Où est-ce? ». – « Passez le Col du Géant, descendez le Glacier, et prenez la première vallée à droite. La face est au fond. » Avec ces simples renseignements et une armée de pitons, les italiens réussissent l’ascension en 3 jours, à leur première tentative.

L’itinéraire sera répété en 1945 par Gaston Rébuffat & Edouard Frendo, en 1946 par Pierre Alain et une équipe de bleausard, suivi de près par Louis Lachenal et Lionnel Terray pour la 4ème ascension.

C’est avec un profond respect pour les anciens et plein d’humilité que nous nous présentons ce dimanche 19 juillet 2020 au refuge de Leschaux avec Micka Chatellard pour à notre tour affronter ce gros morceau de l’histoire de l’alpinisme.

Après 3 bonnes heures d’approche depuis le Montenvers sur une Mer de Glace qui dépérit de jour en jour, nous rejoignons la plus belle terrasse du massif du Mont Blanc. Accueillis par la gardienne Chloé et éclairé par ses conseils avisés, le thème de l’après midi sera déchiffrage de l’itinéraire à la longue vue, orangina & coups de soleil. Nous retrouverons l’ami Louis Pachoud, accompagné de Pauline Champon du GEAN et leur « coach » Benjamin Guigonnet. Ils visent la Manitua, voie mythique dans l’impressionnant headwall de la Pointe Croz. Ils nous tiendront compagnie au petit dejeuner à 01h et sur toute la marche d’approche 🙂

Pour une fois pas de photo de coucher de soleil, il est déjà 20h00, la nuit sera courte ! La vue se dégagera une dernière fois, les lumière plus rasantes rendent la face majestueuse, presque accueillante… On en jugera demain !

01h00 : le réveil sonne, le petit déjeuner est vite avalé. Dur dur d’avoir de l’appétit à cette heure !

01h30 : Nous enfilons les grosses, le baudrier, et c’est partit pour les échelles de Leschaux.

03h30 : deux petites heures d’approche et nous sommes au Point le plus bas de l’éperon. La rimaye bien bouchée nous permet de gratter une trentaine de mètres par la droite, avant de prendre pied sur une petite terasse où nous nous équiperons.

Il fait encore nuit noir, nous faisons confiance à notre repérage de la veille pour ne pas nous tromper. Dans ce socle, l’escalade n’est jamais bien dure, quelques pas de 3 tout au plus, et nous avançons en corde tendue. Le terrain bien pourri demande néanmoins de l’attention, surtout pour ne pas envoyer de pierre sur le second ! Nous rejoignons l’écharpe d’accès en neige, et passons devant le fameux four de suisses, bien vidé ! Après déjà 200 mètres de grimpe dans le socle, nous atteignons le R0 sur le topo Batoux. Tip top, il ne reste plus que 37 longueurs !

Je mets les chaussons pour la première longueur grimpante, les dalles moutonnées en 5b. A vrai dire je n’ai pas vraiment eu l’impression de grimper une dalle, encore moins moutonnée, toujours est il que après une grande longueur je fais relais au pied du dièdre Rébuffat.

05h35 : Je passe le relais à Micka qui pars dans cette fameuse longueur, certainement une des plus difficile techniquement. côté VI, c’est un gros gros 6a, au ressentis à froid et de nuit, bien 6b ! On avance doucement, c’est bien soutenu ! Persuadé que Micka est passé en libre je me bat pour enchainer la longueur… et j’apprendrais au relais au dessus que ce n’était pas le cas ! A partir de maintenant les choses sont claires : si on voit un bon pitons, pas question de pinailler pour faire le pas en libre, on tire dessus sans vergogne !

A la sortie du dièdre Rébuffat, nous réveillons deux espagnols. Désolé à eux, il semblerait qu’on les ai interrompu dans leur grasse mat !

6h20 : les premiers rayons de soleil viennent éclairer l’horizon, et nous traversons en ascendance à droite pour atteindre la base du dièdre de 75m, certainement le passage le plus emblématique de la voie..

06H45 : le timing est parfait, je pars dans le dièdre avec le soleil qui éclaire le haut de la face !

Après près de 50m de grimpe dans ce dièdre parfait, j’ai l’occasion de prendre LA photo classique du dièdre ! C’est censé être un des passages difficiles de la voie, mais l’équipement en place est abondant, il me semble n’avoir rajouté quasiment aucun friend dans la longueur !

Merci Mika pour que j’ai moi aussi ma photo dans le dièdre. Vous excuserez la frontale toujours sur le casque !

photo Mickael Chatellard

Je passe le relais à micka qui repart pour la deuxième partie du dièdre.

photo Mickael Chatellard, sortie du dièdre de 75m

A la sortie du dièdre, nous apercevons les cordes fixes du rappel pendulaire que nous rejoignons en deux longueurs.

8h00 : La corde en place semble en état tout à fait correct, et nous fait gagner pas mal de temps en nous évitant une manip. Ca couine un peu dans le descendeur, mais ça passe !

Nous passons le surplomb noir malcommode, les sacs nous tirent en arrière, bien aidés par la corde à noeuds !

photo Mickael Chatellard

Pas facile de garder le fil du décompte des longueurs, toujours est il que nous arrivons dans un bon timing au pied des dalles grises.

Je pars pour un 6a pas si dur, mais qui demande un peu d’attention ! les pitons sont assez éloignés, et dur de rajouter des protections !

Photo Mickael Chatellard, les dalles grises.

8h45 : Micka me rejoins sur un beau relais sur friend. Passé le rappel pendulaire, nous remarquons que les relais sont nettement moins bons, et souvent à compléter. Grimpe plaisir dans ces magnifiques dalles grises

Micka repart pour la deuxième longueur. Dix-huitième. Pardon.

C’est raide, soutenu, et gazeux ! Nous sommes au milieu de la face, et nous commençons à prendre mesure de son ampleur…

Pendant qu’on l’on grelotte à l’ombre, on observe les copains batailler dans la Manitua, dans l’océan granitque du headwall de la pointe Croz.

Bon, on va pas se sous estimer, de notre côté aussi ça a de la gueule !

photo Mickael Chatellard

Nous avons pris trop à droite dans la fin de la grande longueur de Micka, pour nous retrouver un peu hors voie. Pas grave, un système de fissure nous ramène vers la grande rampe juste avant le second Bivouac de Cassin.

Après une longueur finalement très jolie bien qu’un peu expo, ainsi qu’un peu de corde tendue je retrouve le bon chemin et fais relais au niveau de la terrasse de bivouac.

Il est 10h00, nous faisons une petite pause pour manger et nous hydrater.

Micka repart dans une belle diagonale à gauche en V+, qui nous ramène vers le fil de l’éperon.

La suite remonte au plus logique fil de l’éperon et est vraiment très esthétique. Seul bémol, on joue un peu à cache cache avec le soleil !

photo Mickael Chatellard

Vingt sixième longueur, ou quelques chose dans ces eaux là. On avance mais on en voit toujours pas le bout !

L’altitude commence à se faire sentir, mais heureusement avec nos Monts Blancs respectifs, on est pas trop mal acclimatés !

11h30 : Micka part dans la dalle suspendue, plein gaz au dessus du Linceul. La grande classe !

Nous sommes arrivés au pied du névé triangulaire, avec en ligne de mire les difficultés de la partie supérieure, les cheminées rouges.

12h00 : nous refaisons un petite pause et remettons grosses chaussures et crampons. Après tout ce cailloux, il est bien agréable varier un peu les plaisirs. Longueurs de neige au soleil, en plein milieu de la face nord des JoJos, le pied !

Après avoir fait monter un peu le cardio dans le névé, nous rejoignons le cheminées rouges. Notez bien qu’il faut aller à l’extrême gauche du névé, avant de les rejoindre. La longueur directe d’attaque des cheminées rouge où siège une vielle corde fixe à fait perdre une heure à plus d’un grimpeur !

On nous avait bien prévenu : les cheminées rouges, c’est expo, le rocher médiocre, et ça grimpe ! j’enlèverais un pitons à la main sans forcer, petit souvenir de la face nord !

13h30 : Micka me rejoins pour la dernière longueur des cheminées rouges. je m’y suis mis quelques jolies tremblotes !

Photo Mickael Chatellard

Notre bon rythme du début de la voie à pris un coup, il nous faut mettre et enlever les crampons plusieurs fois. Nous quittons ces infâmes cheminées rouges par une traversée assez besogneuse vers la droite, sous l’imposante tour rouge.

J’ai le droit a la la belle longueur d’A0 sur les pitons de L33… trop bon !

photo Mickael Chatellard

Après la dalle une traversée mixte nous rapproche de la sortie. On commence à en voir le il reste 4 longueurs sur le topo Batoux. En réalité, 200 longs mètres de grimpe nous attendent encore.

photo Mickael Chatellard

Micka part dans L34, un 4c à methodes. Pour le crux, il faut trouver le subtil mélange de patinage artistique, traction sur sangle hors d’âge et crochetage de pitons au piolet, la dégaine entre les dents.

Le verglas de ce début de longueur nous aura fait trembler un dernier coup les jambes déjà bien fatiguées !

photo Mickael Chatellard

Je rejoins Micka à un relais au pied d’un couloir-qui ramène sur le fil de l’éperon pour le final. Je pars pour une grande longueur de 100 mètres. Ca déroule, mais ça veut pas finir.. interminable !

Je passe le relais à Mika qui aura droit à son tour à une séance de corde tendue, avec en bonus pour la 37 ème longueur (?), la cheminée de sortie en 5a bien pourri. 50 mètres plus bas je l’entendais jurer et batailler pour trouver des protections convenables.

15H15 : après 1200 mètres de grimpe, tout d’un coup, alors que l’on ne l’attendais plus le sommet !

photo Mickael Chatellard. Sommet !!

Au sommet, la vue est à couper le souffle. Une grosse pensée pour mon pote Ben Auvray, partit trop tôt… J’ai eu le bonheur de partager la magique traversée des Jorasses avec lui, un de mes meilleurs souvenirs en montagne, et qui le restera…

Nous avions prévu de dormir à Bocalatte au retour, étant donnée la fermeture du tunnel à 22h. Mais finalement, on avais bien la marge ! Pour descendre du sommet nous gagnerons une bonne heure en descendant rapidement le couloir entre le sérac et les rochers Whymper. Un peu limite mais ça passait encore !

A 18h30 nous sommes à Bocalatte, ou le très sympathique gardien tient absolument à nous payer le coca, « Pour la Cassin » et à nous faire poser devant la photo des premiers ascensionniste à leur passage triomphant au refuge après le sommet ! Solide les anciens, gros respect !

photo du gardien de Bocalatte

Après la petite pause, nous repartons tranquillement vers la vallée, ou un taxi de luxe nous attends, merci Tonie 🙂

20h30 planpincieux, 21h Chamonix !

Pour dresser le bilan de cette longue et magnifique journée : nous avons eu énormément de chance sur les conditions. Complètement seuls dans la voie (sans compter nos deux amis espagnols), une météo parfaite, pas un nuage, et surtout pas entendu une seule pierre tomber. Techniquement un peu plus exigeant qu’en conditions sèches, mais tellement plus rassurent. Trop bon !

Merci Micka pour la motivation, la bonne humeur et l’efficacité !

6 commentaires sur “Grandes Jorasses – La Walker

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  1. Bravo pour la performance, accomplie jadis par tonton Michel, et les superbes photos dont on suit le déroulement avec un réel plaisir esthétique. Je suis persuadé que papa Charles doit être fier de son aspirant. Le pauvre Charles qui, croulant sous le poids des années en est réduit à tracer le bois du Bouchet, appuyé sur deux bâtons de skis et l’épaule de Georges Payot, et entouré des petites vieilles du CAF, dont il est devenu le président de la section de Chamonix….. Ouaf !!!!!Ouaf !!! Ouafff !!!
    Le Monchu…

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