Lors de l’ascension avec Ben Tibbets de la barre des Ecrins en 2017, où nous avions suivi le fil d’Est en Ouest, je n’ai eu de cesse d’être impressionné par le gaz que dégageait cette face sud qualifiée de Walker des Ecrins, haute de plus de 1300 mètres. Quand mon pote Sebastien Rey me propose d’aller s’y frotter pour cocher la course et par la même occasion peaufiner notre liste de course pour le Final du Guide, je saute sur l’occasion.
Nous faisons donc la longue route vers le sud depuis notre cher pays haut savoyard. Pour la plupart des course au départ d’Ailefroide et plus précisément du Pré de Madame Carle, deux stratégies sont à envisager : Avec bivouac ou à la (grosse) journée. Comme nous n’aimons pas porter des sacs lourds, nous nous décidons pour la deuxième option. Comme la marche d’approche n’est « que » de trois heures, il paraît en effet peu intéressant de choisir l’option bivouac, comme il faudra porter le matériel sur toute la course. Le seul intérêt de bivouaquer serait de le faire au milieu de la face.
Nous commençons donc par une courte nuit sur le parking du pré de Madame Carle, avec un réveil prévu à 1h30. Nous souhaitons ainsi avoir passé la rimaye au levé du jour pour y voir clair, comme la face a la réputation d’être assez paumatoire.

Lors de la marche d’approche nocturne, nous découvrons que nous ne serons pas seuls dans la face, deux cordées nous emboitent le pas, mais sont partit une grosse demi heure après nous. La longue moraine du glacier noir est vite avalée, et nous prenons pied sur le glacier au niveau des Balmes de Francois Blanc. Nous remontons ensuite en direction du Col des Avalanches. Aux alentours de 4h45 nous arrivons au niveau de la Rimaye. Nous avons aussi le loisir de voir deux de nos poursuivant arriver à fond la caisse en poussant sur les bâtons comme des skieurs de fond. On se dira à ce moment là que vu leur rythme, il ne vont pas nous emmerder longtemps.
Une fois la rimaye (parfaitement bouchée) franchie, nous nous retrouvons tout les 4 sur la petite terrasse pour s’équiper. Nous avons la bonne surprise de reconnaître deux Aspirants guide de la promo d’après nous, Bastien Lévy et Thibault Cheval. Malgré le fait qu’on pensait qu’il allait nous poser en deux temps trois mouvements, nous ferrons une grande partie de la course ensemble, dans une bonne ambiance d’entente.

La première partie de la face est très déroulante, on remonte un système de gradins en visant au mieux le fil du pilier. Inutile de vouloir suivre un quelconque topo, mieux vaut laisser parler son instinct montagnard. Les protections sont cependant très éparses et bien souvent de piètre qualité.

Vers 5h45 nous profitons des premiers rayons du soleil au loin, au dessus de la mer de nuage qui nous a fait douter lors de la marche d’approche.


Après la première partie dans les gradins, on vient buter sur un système de dièdres/cheminés évidents, en III/III+, que l’on remonte rapidement. on trouve là les premières traces d’équipement dans la voie. On rattrapera d’ailleurs nos deux collègues qui avaient pris les devants dans la partie basse, avant de se laisser attirer un peu trop à droite !

Ayant eu de nombreux retour très négatifs sur la qualité du rocher dans cette face sud des Ecrins, je m’étais auto-formaté à grimper sur un Kairn. Bien que les passages peu raides soient souvent un peu sablonneux, j’ai jusque là trouvé l’ensemble vraiment pas si pire… Il vaut bien sûr mieux ne pas trop tirer sur une prise à l’aveugle, le risque de mauvaise surprise n’est pas exclu.

Une fois les dièdres franchis, on débouche sur un semblant de fil, qu’on remonte aisément jusqu’à un petite arête souvent neigeuse bien marquée.


Au sommet de cette petite arête, on arrive à la bifurcation entre les deux voies principales de la face Sud : l’arête Rouge à droite, et le pilier sud tout droit.
De là on remonte au plus logique vers la Tête Rouge. La première ascension a eu lieu en 1944 par Jean et Jeanne Franco, chose qu’il faut garder à l’esprit tout au long de la course. Si on a l’impression de s’engager dans un passage trop difficile, c’est qu’on est pas au bon endroit. Avec seulement quelques pas de IV l’escalade reste très déroulante.

Nous arriverons vers 7h30 au pied du bastion. nous laissons nos deux collègues s’engager les premiers, et en profitons pour faire une petite pause pour refaire les niveaux et enfiler un couche. Nous sommes un peu en avance sur l’horaire, le vent souffle et nous sommes à l’ombre… ce sera un Bastion en mode Face Nord !
La première longueur du bastion est à ne pas manquer sous peine de s’égarer bien comme il faut. Après 20m d’escalade facile, il faut quitter l’axe pour une longue traversée à droite en V où trainent quelques pitons

Une fois dans la bonne ligne, l’escalade est esthétique et pas trop exigeante, dans le IV si on reste bien dans la ligne décrite par le Topo. Pour ma part je me suis laissé porter par les ligne de faiblesse au plus logique, sans avoir besoin d’y jeter le moindre coup d’oeil. Bien sur je savais que nos deux collègues sont passé sans encombres au préalable.
Du bastion on jouit d’une vue incroyable sur l’arête rouge. L’espace de quelques longueurs on a effectivement une petite impression de Walker aux Grandes Jorasses, avec la vue sur le headwall de l’eperon Croz depuis les Dalles Noires…

Dans cette partie nous avons principalement évolué en corde tendue pour gagner du temps, les protections étant bonnes malgré des emplacements de relais qui ne sautent pas aux yeux.

Nous rattrapons de nouveaux nos deux collègues qui sont en train de grimper la longueur de crux en V+. Comme j’ai quelques minutes devant moi le temps qu’il finissent leur longueur, je décide de mettre les chaussons pour assurer le coup (et de ne pas les avoir porté pour rien !)
La longueur est raide, supendue et sur un rocher vraiment douteux. Néanmoins il y a beaucoup de pitons et il est facile d’artiffer en cas de besoin.

Une fois le Crux franchit, on arrive au passage caractéristique du miroir qui se rejoint en oblique a gauche. Cette longueur marque la fin des difficultés (mais pas de la course !)

Une fois le miroir franchi, deux options s’offrent à nous : continuer par les rochers en III sur 300m jusqu’au sommet, ou bien bifurquer légèrement à gauche pour rejoindre le glacier des écrins, que l’on remontera jusqu’à la brèche Lorry.
Etant donné l’aspect mixte des rocher et les bonnes conditions de neige apparentes sur le glacier, la décision est vite prise !

Devant la complexité de mettre en place un assurage dans cette partie, nous décidons d’un commun accord de ranger la corde et de remonter le glacier suspendu chacun de notre côté en solo.

A 10h50 nous mettons enfin pied sur l’arête à proximité du pic Lory. pour atteindre le sommet à 11h00 pile, soit 8h30 après être partis du parking. Une affaire rondement mené


La fatigue se fait néanoins sentir et nous remettons la corde pour rejoindre la voie normale du dôme des écrins.

C’est à partir de là que la deuxième partie de notre journée commence, à savoir la longue redescende sur le glacier Blanc..



De retour à Ailefroide, il ne nous reste plus qu’à profiter d’une bonne petite bière en terasse au Chalet Hôtel d’Ailefroide (the place to be) avant de rentrer à cham avant la nuit !

Merci Seb pour la bambée !
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